Over the rainbow
In memoriam Jacques Cheynier, le 14 janvier 2012 à Lille
Caméra : Zerbin Buler
je m’imaginais mal la tenir par du mou pour l’emmener à l’établissement de sûreté dans une bassine heureusement que la vie n’a que faire de la réalité des écritures pas besoin de tibia ni même de fémur en revanche le bassin peut servir bien qu’un bassinet suffise
la dévertébrée est de nature cocasse chaque fois que l’équipe de Jacques Cousteau tenait la pieuvre à grosse tête elle s’enfuyait en glissant sur le pont comme un rebut d’abattoir ça ne ressemblait à rien si bien qu’il fallait un moment avant de se rendre compte que le spécimen venait de s’échapper heureusement ma situation n’a rien à voir avec ça
pas d’excursion réussie sans bagagerie de qualité des matériaux rustiques valent mieux qu’une technologie cache-misère une irremplaçable bonne et vieille bruyère avec l’os du genou ancré dans la terre noire au point qu’on ne parvienne pas à la différencier de sa matrice elle en conserve le souvenir jusqu’à la désagrégation qui ferme la boucle de sa révolutionles grilles de plastique diffusent Duke Ellington la musique est de guingois c’est une bise nocturne qui souffle par la fenêtre entrouverte je réalise que je roule sur des cadavres depuis longtemps ça ne leur fait pas de mal il faut juste faire attention de ne pas les réveiller le manchot offre des images pieuses sur la grand place ses manches sont retroussées sa tête est dans le ciel les nuages sont retroussés sur son front c’est à n’en pas croire la nuit qui nous couvre il n’y a que les nénuphars pour nous préserver du soleil qui éclate
on fait ouvrir le portail la nature n’est que le tissu des moindres chronologies princières nous naviguons dans une cohérence de gestes comme on n’en voit qu’à l’opéra la nounourse est assise derrière un bureau de poupée elle est donc contrainte d’incliner les jambes en croisant ses escarpins son dispensaire baigne dans la lueur intemporelle du formol elle nous guide avec un accompagnement sans faille vers notre propre intersection
le roi mage m’a prévenu de bien le lui faire savoir il nous sera venu avec une motte de beurre il aura senti bon le sable chaud il aura scellé de l’amour sur le front de la petite qui s’endort donc paisiblement
en attendant il nous faut préparer le petit déjeuner au lit car la petite sera sans doute affamée chaque chose occupe sa propre place entre les panneaux de particules des placards un plaid est prévu pour emprisonner les miettes de baguette dans du velcro ensuite la femme de chambre n’a plus qu’à le mettre dans une lessiveuse le jour découpe les persiennes d’un geste sûr la petite s’épanouit dans l’épaisseur du soleil
l’éclairage du pub figure une bouteille de Budweiser qui se renverse sur le sol le filet de bière coule le long de l’allée puis souligne l’estrade d’une guirlande de lumière l’établissement est presque vide la bière que j’avale repart à l’état de vapeur par le col d’une cheminée de bruyère avec une authenticité implacable ce processus décrit la vie d’un village de montagne au fil des saisons je réalise alors que Monk joue « ça ne veut pas dire une chose » depuis bientôt 24 heures