Wednesday, April 25, 2012

Cora

Une éternité que je n’ai pas mis les pieds à l’hypermarché. Je n’y coupe pas aujourd’hui car il faut que j’y trouve un cadeau pour Serge. C’est ainsi que je pénètre ce lieu qui m’apparaît de plus en plus vaste à mesure que je m’approche de l’âge adulte, au contraire des églises. Je parviens cependant à trouver mon chemin, dans l’alignement des caisses enregistreuses désormais sans caissière tout comme les télévisions ont fini par devenir sans speakerine. Soucieux de ne pas y passer plus de temps qu’il n’y faudrait, je me dirige vers le rayon librairie dans l’espoir d’y faire l’acquisition d’une balayette et d’un ramasse poussière. Les allées qui ont su rester larges sont aujourd’hui presque désertes si bien que je remarque facilement une silhouette traversant l’espace d’un pas aussi engagé que le mien. L’individu porte un manteau de drap lourd, bleu marine, trop ample, sur une paire de blue jeans assez large dont la coupe disparaît dans la gouttière des bottes de peau qui lui arrivent juste au dessous du genou. Il est coiffé d’un chapeau de cowboy à large coursive qui dissimule un visage que l’on imagine localisé entre le col haut et le bord à front bas. Serait-il Serge ? Nos trajectoires se croisent à distance comme guidées par un aiguillage de trafic aérien. Je finis par atteindre le rayon librairie pour en repartir sans être convaincu d’avoir atteint mon objectif, si bien que, guidé par mes pensées, je m’égare dans le dédale des rayons. À plusieurs reprises, mon horizon est traversé par la silhouette qui ne semble pas dévier de sa trajectoire initiale bien que la narration se déroule dans tous les sens. J’atteins la zone la plus reculée de l’hypermarché, le fond du hangar creusé dans la pierre de la terre et dans son temps. L’intérieur du cul de sac s’ouvre sur des voies pavées, humides, constamment obscures, floutées ça et là par la lueur des néons, une rue Watt sans début ni fin, sans histoire. Il s’agit d’une zone d’expérience où peu de clients s’aventurent en raison de l’éloignement des caisses enregistreuses qui oblige à parcourir près d’un kilomètre sans voiture. Les briques du sol et des murs sont couverts de plusieurs couches de peinture couleur de plâtre. La silhouette coupe une allée de rayonnages vides au moment où la croute du sol s’écaille comme un seul homme et se dresse pour former les ailes et les dos anguleux d’un troupeau de dragons. On entend dire que le simple fait de longer le corridor n’a rien d’anodin, que les conséquences sont dramatiques et inédites. Je plonge donc en courant le plus rapidement possible…

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