Tuesday, March 23, 2010

Carter


L’idée d’un concert des Young Gods à la pleine lumière du jour me semblait saugrenue bien que leur musique n’ait jamais été strictement nocturne. Elle est même capable, sans se diluer, d’englober différentes régions de l’espace et du temps. Elle demeure semblable au bloc de pierre de la toute première photographie qui trouve une place naturelle, en chaque circonstance, par le simple fait qu’aucun observateur occasionnel ne le soupçonnerait du moindre soubresaut.
Nous avions rejoint le fort. Il y tombait une pluie continue assombrissant l’horizon au point de ne pas pouvoir en discerner la fin. Une fois n’est pas coutume : la raison vient au secours de l’imagination car nous savons que la pluie, en bord de mer, cesse fréquemment avec le changement de marée.
Nous nous étions abrités sous un porche pour attendre ce revirement du climat qui ne vint jamais. Pendant ce temps, les gorilles chargeaient la meute des garçons sauvages qui buvaient bière et alcools forts à même la bouteille. Ils avaient traversé la manche en car de supporter pour le concert de la machine sexuelle qu’on ne saurait arrêter.
Nous fîmes la connaissance du garçon à l’appareil photo, un petit Leica qu’il portait autour du cou, dont il ne se séparait jamais et qui lui avait valu les foudres d’un mari jaloux avec qui il était en procès. Il était accompagné d’un jeune homme débonnaire que le glissement de ma mémoire identifie comme étant Georges, l’ami de Christelle qui avait la blondeur des nymphes de Delvaux. Georges avait repeint la voiture de son frère avec un rouleau à crépi.
Nous parlâmes de la musique de John Coltrane. Je dis que John Coltrane parle avec son saxophone, qu’il explique sans arrêt. Il réexplique en complétant à partir des mêmes mots comme s’il était essentiel que chacun comprenne. Parfois, il se sert de son saxophone pour faire un dessin.