Monday, July 09, 2012

Over the rainbow



In memoriam Jacques Cheynier, le 14 janvier 2012 à Lille
Caméra : Zerbin Buler

je m’imaginais mal la tenir par du mou pour l’emmener à l’établissement de sûreté dans une bassine heureusement que la vie n’a que faire de la réalité des écritures pas besoin de tibia ni même de fémur en revanche le bassin peut servir bien qu’un bassinet suffise

la dévertébrée est de nature cocasse chaque fois que l’équipe de Jacques Cousteau tenait la pieuvre à grosse tête elle s’enfuyait en glissant sur le pont comme un rebut d’abattoir ça ne ressemblait à rien si bien qu’il fallait un moment avant de se rendre compte que le spécimen venait de s’échapper heureusement ma situation n’a rien à voir avec ça

pas d’excursion réussie sans bagagerie de qualité des matériaux rustiques valent mieux qu’une technologie cache-misère une irremplaçable bonne et vieille bruyère avec l’os du genou ancré dans la terre noire au point qu’on ne parvienne pas à la différencier de sa matrice elle en conserve le souvenir jusqu’à la désagrégation qui ferme la boucle de sa révolution

les grilles de plastique diffusent Duke Ellington la musique est de guingois c’est une bise nocturne qui souffle par la fenêtre entrouverte je réalise que je roule sur des cadavres depuis longtemps ça ne leur fait pas de mal il faut juste faire attention de ne pas les réveiller le manchot offre des images pieuses sur la grand place ses manches sont retroussées sa tête est dans le ciel les nuages sont retroussés sur son front c’est à n’en pas croire la nuit qui nous couvre il n’y a que les nénuphars pour nous préserver du soleil qui éclate

on fait ouvrir le portail la nature n’est que le tissu des moindres chronologies princières nous naviguons dans une cohérence de gestes comme on n’en voit qu’à l’opéra la nounourse est assise derrière un bureau de poupée elle est donc contrainte d’incliner les jambes en croisant ses escarpins son dispensaire baigne dans la lueur intemporelle du formol elle nous guide avec un accompagnement sans faille vers notre propre intersection

le roi mage m’a prévenu de bien le lui faire savoir il nous sera venu avec une motte de beurre il aura senti bon le sable chaud il aura scellé de l’amour sur le front de la petite qui s’endort donc paisiblement

en attendant il nous faut préparer le petit déjeuner au lit car la petite sera sans doute affamée chaque chose occupe sa propre place entre les panneaux de particules des placards un plaid est prévu pour emprisonner les miettes de baguette dans du velcro ensuite la femme de chambre n’a plus qu’à le mettre dans une lessiveuse le jour découpe les persiennes d’un geste sûr la petite s’épanouit dans l’épaisseur du soleil

l’éclairage du pub figure une bouteille de Budweiser qui se renverse sur le sol le filet de bière coule le long de l’allée puis souligne l’estrade d’une guirlande de lumière l’établissement est presque vide la bière que j’avale repart à l’état de vapeur par le col d’une cheminée de bruyère avec une authenticité implacable ce processus décrit la vie d’un village de montagne au fil des saisons je réalise alors que Monk joue « ça ne veut pas dire une chose » depuis bientôt 24 heures

Wednesday, April 25, 2012

Cora

Une éternité que je n’ai pas mis les pieds à l’hypermarché. Je n’y coupe pas aujourd’hui car il faut que j’y trouve un cadeau pour Serge. C’est ainsi que je pénètre ce lieu qui m’apparaît de plus en plus vaste à mesure que je m’approche de l’âge adulte, au contraire des églises. Je parviens cependant à trouver mon chemin, dans l’alignement des caisses enregistreuses désormais sans caissière tout comme les télévisions ont fini par devenir sans speakerine. Soucieux de ne pas y passer plus de temps qu’il n’y faudrait, je me dirige vers le rayon librairie dans l’espoir d’y faire l’acquisition d’une balayette et d’un ramasse poussière. Les allées qui ont su rester larges sont aujourd’hui presque désertes si bien que je remarque facilement une silhouette traversant l’espace d’un pas aussi engagé que le mien. L’individu porte un manteau de drap lourd, bleu marine, trop ample, sur une paire de blue jeans assez large dont la coupe disparaît dans la gouttière des bottes de peau qui lui arrivent juste au dessous du genou. Il est coiffé d’un chapeau de cowboy à large coursive qui dissimule un visage que l’on imagine localisé entre le col haut et le bord à front bas. Serait-il Serge ? Nos trajectoires se croisent à distance comme guidées par un aiguillage de trafic aérien. Je finis par atteindre le rayon librairie pour en repartir sans être convaincu d’avoir atteint mon objectif, si bien que, guidé par mes pensées, je m’égare dans le dédale des rayons. À plusieurs reprises, mon horizon est traversé par la silhouette qui ne semble pas dévier de sa trajectoire initiale bien que la narration se déroule dans tous les sens. J’atteins la zone la plus reculée de l’hypermarché, le fond du hangar creusé dans la pierre de la terre et dans son temps. L’intérieur du cul de sac s’ouvre sur des voies pavées, humides, constamment obscures, floutées ça et là par la lueur des néons, une rue Watt sans début ni fin, sans histoire. Il s’agit d’une zone d’expérience où peu de clients s’aventurent en raison de l’éloignement des caisses enregistreuses qui oblige à parcourir près d’un kilomètre sans voiture. Les briques du sol et des murs sont couverts de plusieurs couches de peinture couleur de plâtre. La silhouette coupe une allée de rayonnages vides au moment où la croute du sol s’écaille comme un seul homme et se dresse pour former les ailes et les dos anguleux d’un troupeau de dragons. On entend dire que le simple fait de longer le corridor n’a rien d’anodin, que les conséquences sont dramatiques et inédites. Je plonge donc en courant le plus rapidement possible…

Friday, April 13, 2012

Bourgeons !

Bourgeons !
Bourgeons tous !

Sentez-vous l’ozone et le rocking chair
Sous le ciel jaune ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le gravier de houille
Crépiter sans troubler la citrouille ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le poil dicotylédon
Courir à toutes jambes
Comme une couleuvre blanche ?
Oui je le sens Seigneur !

Bourgeons !
Bourgeons tous !

Sentez-vous le papier ciré
Qui défie Newton
Comme par enchantement ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le grincement de la ferraille
Dans le mouron ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le bourdonnement turbo-mazout
Des avions de Robert Brown ?
Oui je le sens Seigneur !

Bourgeons !
Bourgeons tous !

Sentez-vous le château
Tanguer sur le clapotis ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le contact du bois moussu
Derrière la jambe ?
Oui je le sens Seigneur !
Sentez-vous le trottinement
Des doryphores dans la canalisation ?
Oui je le sens Seigneur !

Bougeons !
Bourgeons tous !
Cécile ! Linde eau !!
Cécile ! Linde eau !!
Cécile ! Linde eau !!

Sentez-vous que vous êtes
Soulagé ?

Sunday, February 20, 2011

20 février 2011

C’est le printemps, c’est la bière. Un jeune envoie des sabliers par-dessus les nuages. Ils redescendent en trombe au centre de l’arène creusée dans l’attroupement, avec une maîtrise de trajectoire totale. C’est incroyable. Nous quittons néanmoins la guinguette, bien qu’elle promette Sangria et clarinette klezmer, car il y a autre chose. Effectivement, un peu plus loin des pelleteuses charrient des pin-up mutantes dans leurs gueules de lion au carré. La nuit tombe. C’est l’heure du ballet automobile sur l’esplanade désaffectée longeant la voie de chemin de fer, quatre heures durant, puis les portières s’ouvrent. Il est question d’envolées, de la vie, cachée sous les feuilles, sous-marine, pré-natale. La lumière est verte.

Wednesday, February 09, 2011

9 février 2011

Un haut lieu de la mythologie, le quartier général de Fantomas, le musée d’art moderne.
Le jeune couple sort de dessous les draps, des abîmes infinis du temps qui chante. Ils ne quittent pas la chambre et m’indiquent, de mémoire, le numéro du bus. L’espace du temps demeure raisonnable. J’entame l’excursion. Métro puis bus jusqu’à l’arrêt qui me semble probable, en bordure d’un espace boisé tel qu’on me l’a décrit. Je pénètre la verdure. De vastes demeures espacées d’arpents confortables finissent par converger sur un vallonnage tondu où j’identifierai, bien des années plus tard, les collines des Teletubbies.
Je me suis égaré. Je rebrousse chemin et finis, au terme d’une longue déambulation, par m’installer sur la berge d’un lac artificiel. Le béton alvéolé s’enfonce dans l’eau boueuse. C’est le refuge des épinoches et des gloubis que personne ne voit. Le livre parle de Michel Strogoff, de soucis en complet veston et d’Icare en prise avec la lune timide comme un soleil.

Sunday, January 30, 2011

16 janvier 2011

Le compte n’y est pas mais les registres sont sans égards. Le compte n’y est pas mais nous voilà contraint de singer le gorille… Trouver la fille… L’urgence avale même le ciel.

Nous arpentons le plateau désert ; nous sommes sur le chantier du plus gros patron de la région. La guerre est déjà commencée. Un chien hurle de douleur derrière une clôture de tôles rouillées. Au loin, une bouteille d’eau minérale géante surplombe les arbres comme l’Atomium de Bruxelles. C’est la curiosité qui me fait rouler dans sa direction, et l’espoir mu par la certitude que, sous les arbres, la guerre n’existe pas. La vie s’y développe dans la marge, avec des jardins tout autour de la bouteille d’eau minérale.

Sunday, January 16, 2011

11 janvier 2011


Les chaussures de Lise dorment sur le palier. Elles sont légères. Je soulève la paire d’une seule main, avec le pouce contre les talons, l’index et le majeur à l’intérieur, contre la toile chaude et humide, le contact de nos dernières heures d’activité : le chemin à rebours dans les rues de la ville, en suivant les miettes… jusqu’au coin de trottoir, point de rendez-vous avec Philippe, Naïma et Firmin.

La forêt d’agrément est aussi vaste qu’un pays. C’est la Frisur d’une colline. Elle surplombe le paysage. Au loin, un château fort sort de la brume. Le soleil cogne. Bras et jambes crapahutent comme ceux d’un demeuré. Pour la première fois, je transpire à grosses goutes. Les perles brillantes percent la toile de mon tee-shirt bleu, à manches coupées suivant le pointillé des coutures. Elles chutent de mon front incliné vers la terre, puis disparaissent en formant de minuscules cratères dans la poussière. Ce sont des vestiges de bombardement qui finissent par se découvrir le jour où l’on pénètre le cœur de la forêt.